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Prévention, oui! Mais réparation?
Concertation sociale et priorité à la prévention. Ce sont les maîtres mots du nouveau plan santé-travail (PST), présenté par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, à la fin de l’année 2015. Ce plan a été préparé par les partenaires sociaux et approuvé unanimement par les organisations patronales et syndicales représentatives. La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour le traduire en faits et en actions. Ce troisième plan constituera en effet la feuille de route du gouvernement en matière de santé au travail pour la période 2016-2020. « Il marque un infléchissement majeur en faveur d’une politique de prévention qui anticipe les risques professionnels et garantit la bonne santé des salariés plutôt que de s’en tenir à une vision exclusivement réparatrice. Il prend aussi pleinement en compte la qualité de vie au travail », se félicite le ministère du Travail.
Partenaires sociaux
Le PST3 se distingue des plans précédents sur deux points essentiels, souligne Frédéric Laloue, le nouveau secrétaire général du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct, lire encadré). « Sur la procédure, les partenaires sociaux ont joué un rôle en amont. Sur le fond, la priorité a été donnée à la prévention primaire, ce qui est une également une nouveauté. » Sur le fond, le PST 3 énumère (lire encadré) un certain nombre de risques prioritaires : risques récurrents (exposition aux cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, chutes, risques psychosociaux…), émergents (nanotechnologies…) et multifactoriels (maladies cardio-vasculaires…). L’accent est également mis sur d’autres points essentiels comme les troubles musculo-squelettiques (TMS) ou les risques routiers professionnels. Alors que 120 000 personnes sont licenciées pour inaptitude chaque année, le plan fait également de la prévention de la désinsertion professionnelle un objectif majeur. Il était temps ! « Les organisations syndicales ont reconnu que le PST 3 reflétait leurs orientations », ajoute Jean-François Naton, responsable du secteur santé au travail de la CGT. « Nous avons tiré les leçons des plans précédents comme le PST2 qui ressemblait à un catalogue à la Prévert. Cette fois, nous avons voulu resserrer sur des objectifs atteignables. » Et en premier lieu, la prévention, choix qui rompt avec le passé selon M. Naton. Pour lui, le coût du « mal travail » a atteint un tel « niveau de violence » qu’il fallait urgemment changer de politique.
Revers de la médaille
« En effet, les partenaires sociaux ont conduit une longue concertation sous la houlette des pouvoirs publics, commente François Desriaux, le rédacteur en chef de Santé & Travail. C’est un vrai travail collaboratif dont on peut se féliciter. Mais il y a un revers de la médaille : pour obtenir un texte qui convienne à tous, chaque mot a été pesé. » D’où cette impression à la lecture du PST3 : « tous les mots qui fâchent, on les cherche un peu : souffrance au travail, risques psycho-sociaux, troubles musculo-squelettiques, pénibilité… » Et d’enfoncer le clou : « je lis entre les lignes que la priorité est donnée à la prévention, mais plus à la réparation. Sans moyens supplémentaires, ce qu’on mettra en prévention, on ne le mettra plus en réparation. » CQFD. Pour François Desriaux comme pour les associations de victimes, il faut bien s’attendre à ce que la diminution de la réparation se poursuive : tableaux revus, délais allongés, chute du nombre de reconnaissances à l’instar des maladies de l’épaule… ! « De ce PST3, il restera une belle méthode et de beaux discours, ajoute-t-il. Au final, nous obtiendrons ce que veulent les entreprises, à savoir une baisse du coût de la réparation. Que fera-t-on contre l’intensification du travail, la persistance de la pénibilité, l’incompatibilité entre maintien dans l’emploi et vieillissement des salariés ? » Les errances du compte pénibilité, compliqué à souhait, est une vraie illustration de ce dilemme. Alexandre Saubot, le nouveau Monsieur social du Medef a clairement indiqué son hostilité à un compte pénibilité individuel : « on mélange poste de travail et personne qui l’occupe. On ne peut pas faire de suivi individuel, on ne peut faire que du suivi collectif », martèle-t-il. Selon lui, cette position n’est pas contradictoire avec la priorité donnée à la prévention dans le PST3. Il ne veut pas voir le rapport avec l’inaptitude « qui est un problème médical. Elle n’a rien à voir avec la prévention ni même avec un suivi individuel. »
Férocité
« On sait la férocité de ce gouvernement qui signe ce PST et réduit depuis un certain temps les moyens des institutions porteuses de prévention », reprend M. Naton de la CGT. « Mais on ne peut être suspectés d’abandonner la nécessaire Justice à rendre aux victimes du travail, c’est tout le débat sur le naufrage annoncé du compte pénibilité ! » « Mais nous n’abandonnons personne, se défend-il. On meurt toujours d’une chute de toit ou d’une échelle. Le poids financiers et économique du « mal travail » est bien connu : 4 points de PIB et plusieurs dizaines de milliards d’euros. On ne peut plus se satisfaire de la réparation, on ne peut pas sacrifier des salariés et signer des chèques. » Mais, admet-il, sujet qui fâche et nerf de toute guerre (Lire interview page 9), « la bataille a été terrible sur la sanctuarisation des budgets existants. Pour le moment, on ne peut compter sur aucune augmentation de budget. Ce PST comporte une volonté positive et lucide. Or, sans moyens, rien ne se fera. » Difficile dans ce contexte de ne pas s’interroger sur les critères de réussite d’un tel plan. L’objet du PST 3 est bien d’essayer de changer de culture. Cela prendra du temps. Après, il y aura toujours des indicateurs objectifs comme la sinistralité et le niveau des expositions…
Pierre LUTON
INTERVIEW
Frédéric Laloue, le nouveau secrétaire général du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), qui a accordé une interview exclusive à À part entière.
À part entière : Dans quel contexte le PST3 s’inscrit-il ?
Frédéric Laloue : L’élaboration de ce troisième plan a suivi une méthodologie différente des plans précédents. Sur la procédure, les partenaires sociaux ont joué un rôle en amont : ils ont défini les orientations qui ont été à l’origine de ce PST 3, lequel doit être désormais mis en œuvre par les pouvoirs publics. Sur le fond, la priorité a été donnée à la prévention primaire, ce qui est une également une nouveauté. De même, le travail doit-il être considéré positivement ; ce plan prend donc en compte la qualité de vie au travail. Deux points sont également importants : le déploiement régional de ces nouvelles priorités et leur évaluation.
APE : Le PST3 met l’accent sur la prévention, mais ce n’est pas nouveau… Ce qui est nouveau c’est qu’il s’agisse d’une priorité. À moyen constant, la réparation ne risque-t-elle pas d’en pâtir ?
F.L. : C’est la prévention primaire qui permet d’éviter les risques au travail, personne ne le conteste. L’objet n’est pas de réduire la réparation, elle reste essentielle.
APE : Les budgets seront-ils revus en conséquence ?
F.L. : Les budgets des institutions de la santé au travail doivent tenir compte des priorités définies dans le PST 3. Si le plan ne comporte pas d’annexe spécifiquement financière, il définit de manière relativement précise un certain nombre d’actions coordonnées, qui impliquent un financement.
APE : Quels sont les risques prioritaires identifiés par les partenaires sociaux ?
F.L. : Les risques identifiés dans le plan ont été présentés comme la déclinaison des priorités retenues. Le document des partenaires sociaux énumère un certain nombre de risques comme autant d’illustrations de la démarche consistant à privilégier la prévention : des risques récurrents (exposition aux cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, chutes, risques psychosociaux…), émergents (nanotechnologies…) et multifactoriels (maladies cardio-vasculaires…). Cette démarche privilégiant la prévention primaire est également à l’œuvre pour les risques comme les troubles musculo-squelettiques (TMS) ou les risques routiers professionnels.
APE : Les associations de victimes du travail ont-elles été suffisamment associées à l’élaboration du PST 3 ?
F.L. : C’est aux associations de le dire ! Les associations de victimes sont un élément essentiel de notre institution. La FNATH siège au Coct, elle a été consultée lors de l’adoption du PST en comité permanent et au cours de travaux en amont.
APE : Sur quels critères allez-vous juger de la réussite de ce PST 3 ?
F.L. : Les partenaires sociaux et l’État ont insisté sur la nécessité de faire une évaluation au fil du plan et à son terme. L’un des éléments les plus immédiatement visibles sera le niveau et la qualité de la participation de tous les acteurs locaux et en particulier des partenaires sociaux, à l’élaboration des PST régionaux. Nous aurons des indicateurs en cours d’élaboration pour faire évoluer tel ou tel aspect. L’objet du PST 3 est bien d’essayer de changer de culture. Cela prendra du temps. Après, il y a des indicateurs de réussite objectifs comme la sinistralité et le niveau des expositions…
Propos recueillis par Pierre LUTON
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