Les médecins font monter la pression
Une école pour tous ?
TMS: de vraies fausses baisses
Les troubles musculo-squelettiques (TMS), notamment ceux de l’épaule ont baissé en l'espace de deux ans : - 34 % pour les seules épaules. Prévention ? Que nenni : les définitions des tableaux ont été modifiées entretemps.
Tendinopathie aiguë non rompue, non calcifiante de la coiffe des rotateurs »… « Maintien de l’épaule sans soutien en abduction, avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3 h 30 »… Voilà en quels termes l’on parvient à rendre complexes les tableaux de maladie professionnelle des troubles musculo-squelettiques (TMS), et plus particulièrement de l’épaule. Ce qui a pour conséquence de les faire baisser ! Façon de (tenter) de se débarrasser de ces TMS qui représentent jusque-là 80 % des maladies reconnues et indemnisées par la branche risques professionnels. D’ailleurs, la nouvelle directrice de la branche le dit sans détour : « Oui il y a moins de reconnaissances. Mais il y a des gens qui étaient pris à tort avant. » Tout est dit ! Quand on sait que dans le même temps la Sécurité sociale s’inquiète de l’augmentation des longs arrêts maladie en lien avec le poids pris par les TMS et l’épuisement au travail notamment chez les salariés âgés…
Les affections de l’épaule et du coude ont vu leur tableau professionnel profondément modifié par décret (en octobre 2011 et août 2012). Ce tableau, n° 57, concerne les troubles musculo-squelettiques (TMS), ces pathologies qui touchent articulations, muscles et tendons, particulièrement douloureuses et invalidantes pour les salariés qui en sont atteints. Les TMS représentent encore 80 % des pathologies professionnelles reconnues. Les seules pathologies des épaules, jusqu’en 2012, représentaient 30 % de ces maladies. Les pouvoirs publics, qui avaient pour objectif de faire baisser les TMS, ont trouvé là, l’occasion idéale de dissuader leur déclaration et de diminuer leur indemnisation sans améliorer la prévention !
Comment ? Ces décrets apportent des modifications considérables dans les définitions des maladies, les délais exigés et la liste des travaux qu’il faut avoir réalisés pour être reconnu et indemnisé ! Allez désormais prouver que vous avez accompli des travaux comportant des « mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction, avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3 h 30 par jour en cumulé » (Lire Page 8) ! Il n’est donc pas étonnant que pour les seules affections de l’épaule, le nombre de reconnaissances soit en baisse de 34 %, entre 2011 et 2013 ! Grâce aux modifications des tableaux !
Obstacle
« La nouvelle définition de la maladie, surtout concernant les épaules, représente désormais un obstacle considérable à la reconnaissance des TMS », insiste Jean-Luc Raymondaud, représentant CFDT à la commission des maladies professionnelles, secrétaire général de la CFDT Alsace en charge de la santé au travail. De plus, fait-il remarquer, il faut désormais en passer par de l’imagerie médicale (IRM) alors que la « Sécu » recommande de réduire ce genre d’examen… « On pousse les médecins à faire des examens qui ne sont pas nécessaires. Quand on sait que nombre de caisses n’envoient pas aux salariés de courrier pour réclamer cette IRM… » « Nous recevons un nombre croissant de salariés qui arrivent avec des refus liés à l’absence d’IRM et à la désignation de la maladie, ajoute Jean-Luc Rué de la CFDT. Ils ne sont pas assez informés, le système ne permet pas de discussion, la caisse instruit, elle décide, ensuite on rentre dans le contentieux. C’est plus facile de refuser la reconnaissance de sa maladie à un salarié seul que de se friter avec un employeur qui s’appuie sur un cabinet d’avocats ».
Au mot près
« Nous constatons 5 fois plus de recours, déplore pour sa part Laurent Brillaud, secrétaire général du groupement des Deux-Sèvres. Ils portent essentiellement sur les pathologies de l’épaule. Désormais, ça va prendre 4, 5 voire 8 ans pour obtenir gain de cause ! On en passe systématiquement par l’expert, la commission de recours amiable ou carrément par un tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass)... Tout cela pour valider la définition de la maladie. » Car, ensuite, explique-t-il, il faut affronter d’autres obstacles comme la liste des travaux que les assurés doivent avoir effectués. Les caisses orientent souvent vers un CRRMP (système complémentaire quand la maladie ne correspond pas à un tableau ou qu’elle ne correspond pas entièrement à ses critères) qui représente un vrai parcours du combattant pour le salarié… « On est ensuite contraint de saisir le Tass qui désigne un autre CRRMP et ainsi de suite... » « Les caisses ne veulent plus étudier que les maladies inscrites au tableau au mot près », déplore Daniel Fleury, chargé des dossiers juridiques au groupement Drôme-Ardèche. Il devient de plus en plus compliqué de faire « rentrer » les gens dans ces tableaux.
L’enjeu pour les victimes du travail est énorme, rappelle le docteur Alain Carré, représentant les travailleurs pour la CGT, à la commission des pathologies professionnelles. Les TMS compromettent l’emploi des salariés, c’est une grande cause de licenciement pour inaptitude et ils sont mal réparés. En atteignant difficilement un taux de 15 %, une victime peut espérer l’attribution d’une rente annuelle qui ne s’élève qu’à 7,5 % du salaire annuel brut ! Mais une autre bataille se déroule dans les coulisses : l’augmentation des TMS est en lien avec l’augmentation de la productivité et des cadences. Or se pose la question de la reconnaissance des risques psycho-sociaux. En négociation depuis de longues années, la création d’un tel tableau n’est pas attendue dans des délais rapides ! C’est donc vers le système complémentaire (CRRMP) que la reconnaissance de ces troubles est actuellement possible. On procède de même pour les TMS : de plus en plus on les renvoie dans ce système dissuasif
Recul social
Suppléante à la commission des maladies professionnelles du conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT) et intervenante à la consultation Souffrance et travail de Paris, le docteur Marie Pascual le confirme : « en compliquant la rédaction des tableaux, il était sûr qu’ils allaient limiter le nombre de reconnaissances. Nous sommes en plein recul social ! Le motif officiel était de désengorger les CRRMP et de réduire l’hétérogénéité des traitements dans les cpam : c’est tout le contraire qui se produit. » « C’est clair, conclut Laurent Brillaud, plus les conditions sont drastiques, plus on remet en cause la présomption d’imputabilité : il ne suffit plus d’avoir une maladie figurant dans un tableau pour être indemnisé ! Ce système, sous couvert d’économies, exclut les victimes. »
Témoignages
Christine, 52 ans, couturière. « Mes problèmes aux épaules ont commencé en 2012. « J’ai fait une déclaration en maladie professionnelle en novembre 2012 pour l’épaule gauche. En 2013, j’ai dû être opérée. Le tendon du biceps était déchiqueté. Depuis, je me suis fait opérer de l’autre épaule (la droite). Mon médecin a vu qu’elle était dans le même état que la première. Il a produit un certificat plus simple et les termes ont été mieux présentés. Elle a été acceptée en maladie professionnelle dès la fin 2013. Pour la première épaule, la droite, il avait écrit que c’était calcifiant alors qu’il n’y avait que des micro-calcifications. Mais je dois attendre même s’il est évident que mes épaules souffrent des mêmes causes : un travail répétitif qui m’oblige à tendre les bras sans soutien vers des machines surélevées. Mais il faut que je tienne, je ne retrouverai pas de travail comme cela. »
Pascal, 51 ans, fabricant de moteurs et d’alternateurs. « J’ai été affecté à un travail qui m’a obligé à maintenir mes bras vers le haut. J’ai eu plusieurs maladies professionnelles qui ont été acceptées. Mais, à partir de 2011, j’ai eu deux maladies, une à l’épaule, l’autre au coude, qui ont été refusées. Une fois c’était à cause d’un délai dépassé de 5 jours, une autre pour une description de poste. Avec la Fnath, j’ai dû passer par deux CRRMP (Limoges puis Bordeaux) et, finalement, au bout de 4 ans, j’ai été accepté pour une des deux maladies. Il faut attendre le résultat pour l’autre, en octobre prochain. Entretemps, j’ai demandé à changer de postes de travail avec beaucoup de difficultés et du harcèlement. Finalement, j’ai accepté une rupture conventionnelle, mais avec tout ce stress, j’ai fait un accident vasculaire cérébral (AVC) et j’ai des séquelles. Maintenant, je ne vais pas en rester là et compte demander la faute inexcusable pour l’AVC et toutes les maladies que j’ai eues. J’ai l’impression que la caisse a voulu protéger mon employeur alors que désormais plus personne ne conteste mes maladies. On aurait pu éviter tous ces problèmes non ? »
« Il y a des gens qui étaient pris à tort avant »
Marine Jeantet, nouvelle directrice des risques professionnels.
Quels effets ont eu les modifications de tableaux (épaule et coude) ?
Les tableaux en question n’avaient pas été revus depuis pas mal de temps. Aujourd’hui, désormais, leur description est plus rigoureuse, elle est plus facile pour les médecins conseils, il n’y a plus de marge d’interprétation qui peut conduire à des difficultés et il n’y a plus d’hétérogénéité dans les pratiques.
Pouvez-vous nous dire à quoi est due cette forte baisse dans les reconnaissances des troubles musculo-squelettiques (TMS) ?
Il existe plein de facteurs qui rentrent en ligne de cause. Beaucoup de gens disent que c’est le résultat des changements apportés dans les définitions des tableaux, mais pourquoi ne serait-ce pas dû à une amélioration de la prévention ou à une moindre déclaration ?
Mais quand on passe d’une définition de l’épaule « Épaule douloureuse » à « Tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM », on doit bien s’attendre à une baisse…
Oui il y a moins de reconnaissances. Mais il y a des gens qui étaient pris à tort avant. On a obtenu un consensus. Les anciens diagnostics étaient imprécis, maintenant, c’est plus juste. Ceux qui ne rentrent plus dans ces nouvelles définitions sont pris en charge par la branche maladie. Les TMS ne sont pas purement d’origine professionnelle.
De quel ordre est cette moindre reconnaissance ?
Il y a une inflexion claire, mais pas si importante que certains veulent le faire croire. En 2011, nous en dénombrons 47 441. En 2013 : 44 680. Une baisse d’environ 6 % * . La part des avis favorables diminue. Mais il faut calmer le jeu, on est dans une régularisation pas dans une diminution. Je ne nie pas la réalité de leur pathologie, mais il y a eu des gens reconnus en maladie professionnelle alors qu’ils relevaient d’une autre branche.
Faut-il y voir une modification de la présomption d’imputabilité et du compromis historique de 1898 ?
Pas du tout. Il y a toujours une automaticité dans les tableaux, mais avec des critères plus précis. Ce sont aux salariés d’arriver à présenter des éléments tangibles. Le principe des tableaux permet de rentrer dans la réparation si l’on rentre dans les définitions. Il faut qu’on soit responsable, ce n’est pas moi qui définis les critères, c’est paritaire. C’est un système fragile qu’on nous envie en Europe. Et ce n’est pas acquis.
* Ces chiffres s’entendent tous TMS confondus.
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